Quelques infos:
Edition: Livre de poche
Parution: 1936
Pages: 321
Mon avis:
A la mort de sa mère, Mary Yellan quitte sa région natale pour rejoindre sa tante qui vit en Cornouailles avec son mari, aubergiste. Sa tante est devenue une femme soumise, terrorisée par sa brute de mari. L'auberge, peu accueillante, ne reçoit plus de voyageurs depuis longtemps. Au milieu de cette lande désolée, des hommes s'arrêtent certaines nuits, aussi violents et avinés que le tenancier. Malgré le sentiment de dégoût que lui inspire son oncle, l'environnement hostile des marécages environnants, Mary reste dans le but de sauver sa tante des mains de son mari.
Le voyage de Mary quittant les vertes prairies d'Helford vers l'Auberge de la Jamaïque annonce tout de suite la couleur. Dès les premières pages, le lecteur est plongé dans une ambiance lourde et angoissante.
"Elle était inexorable cette pluie qui cinglait les vitres du coche et s'infiltrait dans un sol rude et stérile. Il n'y avait pas d'arbres, sauf un ou deux peut-être qui tendaient aux quatre vents leurs branches dénudées, ployés et tordus par des siècles d'intempéries. Et les orages et le temps les avaient si bien noircis que si, par aventure, le printemps s'égarait en un tel endroit, aucun bourgeon n'osait se transformer en feuille, de crainte de mourir de froid. La terre était pauvre, sans prés ni haies; on ne voyait que des pierres, de la bruyère noire et des genêts rabougris."
L'oncle de Mary est particulièrement terrifiant. Ravagé par l'alcool, ses réactions imprévisibles et violentes laissent craindre le pire pour la jeune fille. Au fil des pages, le suspense monte crescendo. Mais que se passe-t-il dans cette auberge? Le cadre de cette histoire est parfaitement décrit par Daphné du Maurier. Au milieu de la nuit, le lecteur entend le grincement des roues des chariots, distingue les ombres des hommes se donnant à de mystérieux trafics au milieu de la cour.
Je me suis sentie plongée dans cette ambiance glauque et mystérieuse. Les pages se tournent facilement et j'éprouvais une envie irrépressible de découvrir ce que cachait l'oncle. Certains passages m'ont clairement fait frissonner et même si ils me laissaient un sentiment de malaise, c'était suffisamment bien écrit pour que j'ai envie d'y retourner!
"Une araignée rampa sur la main du mort* et il sembla étrange à Mary que cette main restât immobile, sans chercher à se débarrasser de l'araignée. Puis, l'araignée grimpa sur le bras, montant vers l'épaule; quand elle arriva à la blessure, elle hésita, fit un détour, puis revint avec curiosité; il y avait, dans sa rapidité, une absence de crainte qui était horrible et profanatrice."
(*Afin de ne pas spolier l'oeuvre, j'ai volontairement enlevé le nom du mort!)
Si les personnages de l'oncle et de la tante sont bien réussis et crédibles, une petite ombre entache ma lecture. J'ai eu du mal à comprendre Mary. C'est une femme courageuse, travailleuse, indépendante, un brin féministe, mais parfois tellement naïve. Sa fâcheuse tendance à se jeter dans la gueule du loup était agaçante. Mais surtout, je n'ai pas du tout cru en son histoire d'amour avec un des personnages. Ses sentiments s'installent avec une rapidité surprenante envers un homme particulièrement machiste (la scène où il la relègue aux fourneaux pour préparer un repas m'a laissé perplexe!). Les deux dernières pages m'ont laissé une impression un peu amère et je n'ai pas compris son choix et cette façon de se soumettre en totale contradiction avec sa personnalité.
"Je m'étais proposé (...) quand tout serait fini, de trouver du travail quelque part dans une ferme et de vivre comme un homme, ainsi que j'en avais l'habitude. Mais maintenant je ne puis faire aucun plan ni penser par moi-même. Je tourne en rond dans un piège, et tout cela à cause d'un homme que je méprise, qui n'a rien à voir avec mon esprit, avec ma raison. Je ne veux pas aimer comme une femme ni éprouver des sentiments de femme. Cela ne signifie que des souffrances et des tourments qui peuvent durer une vie entière. Je n'ai pas cherché cela! Je n'en veux pas!"
C'est donc le cinquième livre de Daphné du Maurier que je découvre. Même si ce n'est pas l'oeuvre que je préfère, j'ai passé un bon moment de lecture. J'aime particulièrement l'ambiance de ses romans et ici, une fois encore, je me suis retrouvée en immersion totale dans cette lande désertique battue par les vents et fouettée par la pluie. J'en frissonne encore!
Challenge Coupe des 4 maisons: Petrificus totalus, livre avec une couverture rigide, 15 points
Livre lu dans le cadre d'une lecture commune sur le site Livraddict