Quelques infos:
Édition: Mazarine
Date de parution: Octobre 2018
Pages: 478
Mon avis:
Moïse est mort à plus de 90 ans. Son fils Denis trouve dans une vieille malle trois carnets dans lesquelles, consciencieusement, Moïse écrit des lettres à une inconnue, Anne-Lise, dont personne dans la famille n'a jamais entendu parler. Il faut dire qu'il n'était pas vraiment bavard Moïse, plutôt du genre taiseux, froid et distant, même avec ses proches.
"Parfois, Moïse nous disait bonjour, mais se souciait-il vraiment de la qualité de nos journées? Absorbé dans ses pensées, il disait des phrases comme:" Je vais sortir le chien". Puis il partait, mais il rentrait, il avait oublié le chien. Il repartait, et c'était la balade, puis c'était le fauteuil, et c'était sa musique. Comme tu habitais tout seul ton corps, grand-père, et tout seul ton fauteuil, tu habitais tout seul avec nous."
Bouleversé par cette découverte, Denis fait un malaise cardiaque. C'est son fils Jean qui prend alors le relais et part sur les traces d'Anne-Lise. Curieusement, entre eux aussi, la communication passe difficilement et ils trouveront dans cette quête un moyen d'éviter que l'histoire familiale ne se répète et d'apaiser leur relation.
La couverture est magnifique, le titre alléchant et les critiques élogieuses. Ce livre avait tout pour m'attirer. Le début a été difficile, il m'a fallu arriver à un bon tiers du livre pour réellement me plonger dans l'histoire. Je crois que je suis passée à côté de la partie contemporaine et notamment de la façon dont Jean essaye d'apaiser les relations avec son paternel. Il lui raconte des histoires d'amour inventées, lui fait croire qu'il a retrouvé les descendants des personnes que Moïse a pu croiser et le but de ces mensonges m'a complètement échappé.
En revanche, les lettres de Moïse sont poignantes. Au crépuscule de sa vie, il confie à Anne-Lise l'homme qu'il a été, depuis sa naissance. Chaque année, à la même date, il lui écrit une lettre où il s'expose, sans fard, ses doutes, ses faiblesses, ses drames et ses bonheurs. Il se révèle être un homme doux et sensible, bien loin de la carapace dure et infranchissable qu'il montrait à ses proches, notamment à son fils Denis.
"Mais les regrets, oh, les regrets... Toi qui me lis, souviens-toi des tiens, et tu seras d'accord: jamais ils ne disparaissent, les regrets. Ils enflent avec les années, ils vous dévorent le soir, ils teintent de tristesse le plus joyeux des rires et tournent à l'amer le plus sucré des mets. C'est là leur grand pouvoir sur nous."
C'est évidemment la seconde guerre mondiale qui marque un tournant dans sa vie. C'est là que l'histoire de Moïse m'a véritablement emporté: sa vie de prisonnier de guerre, les relations qu'il a pu nouer avec les allemands, les différences sociales effacées "où la Guerre rendait tous les hommes égaux".
Ce roman s'est finalement révélé être d'une profonde richesse, il y est question d'amour, des liens familiaux, de regrets, de souvenirs...
"On meurt vraiment quand tous les gens qui nous ont aimé meurent aussi, où quand il n'y a plus de souvenirs."
En s'appropriant ces lettres, Baptiste Beaulieu nous offre ici une belle leçon de vie. Suivant les conseils de Moïse, il s'évertue à renouer les liens familiaux et finalement, même s'il est question de guerre, de secrets familiaux ou de deuils, c'est un roman empli d'optimisme et d'espoir, qui appelle chaque lecteur à aimer, espérer et se souvenir. Et qu'il existe une façon de ne pas reproduire indéfiniment le schéma familial.
"Je voudrais que la personne qui lit ces lignes et a cette chance infinie d'avoir encore son grand-père, sa grand-mère, l'appelle et lui dise -Raconte moi maintenant tout ce que tu n'as jamais dit. Après il sera trop tard-"
NB: Ce livre est d'autant plus touchant qu'il s'agit d'un roman autobiographique. L'auteur est réellement à la recherche d'Anne-Lise Schmidt, sa tante âgée aujourd'hui de 75 ans. Puisse-t-il un jour la retrouver et lui remettre ces carnets...