jeudi 29 novembre 2018

Le liseur - Bernhard Schlink



Quelques infos:


Édition: Folio
Date de 1ère parution: 1995
Pages: 243

Mon avis:


Michael a 15 ans lorsqu'il rencontre Hannah âgée de 20 ans de plus que lui et dont il devient l'amant. Chaque jour, il la retrouve chez elle et avant de faire l'amour, elle lui demande de lui faire la lecture à voix haute. Ce rituel durera 6 mois, jusqu'au jour où Hannah disparaît du jour au lendemain. Il la retrouve, 7 ans plus tard, alors qu'il assiste au procès d'anciens criminels nazis et qu'elle est sur le banc des accusés. Michael comprendra alors le secret qu'elle s'évertue à cacher et tentera de se tentera de panser les plaies de cette étrange histoire d'amour.

J'ai vu le film il y a quelques mois de cela. J'en suis sortie bouleversée et quelque peu perplexe. J'ai voulu lire le roman dont il en était issu, espérant qu'il puisse répondre à certaines de mes questions. J'ai refermé ce livre, sans que ce sentiment de perplexité ne m'ait quitté. Mais qui est Hannah? Comment arriver à me positionner par rapport à elle? Cette question tourmentera le narrateur  toute sa vie. Par ricochets, il est question du jugement de toute une génération envers celle qui l'a précédé, qui a été témoin, parfois complice, des horreurs perpétrées sous le régime nazi. 

"Je pense aujourd'hui que le zèle que nous mettions à découvrir l'horreur et à la faire connaître aux autres avait effectivement quelque chose d'odieux. Plus les faits dont nous lisions ou entendions le récit étaient horribles, plus nous étions convaincus de notre mission d'élucidation et d'accusation. Même lorsque ces faits nous coupaient le souffle, nous les brandissions triomphalement. Regardez!"

Hannah est porteuse d'un secret, qui aura gouverné ses choix, la poussant même à endosser une responsabilité qui n'était pas uniquement la sienne. Pour autant, cela suffit-il à lui donner le pardon? C'est un choix que Michael sera dans l'incapacité de faire, choqué que cette femme adorée, ait pu participer à des crimes aussi abjects.
L'auteur nous plonge dans les méandres de ses réflexions intimes, ses questionnements, sans nous apporter de réponse et sans que nous, lecteurs, puissions également en trouver. C'est déstabilisant. La seule éclaircie dans ce roman, c'est lorsque Michael prend la décision de communiquer indirectement avec Hannah par l'intermédiaire des livres. Que l'amour de la lecture puisse de nouveau les réunir, j'ai trouvé cela magnifique.
Cependant Hannah restera un mystère pour moi. Tant au niveau de sa participation aux crimes nazis, que dans sa relation charnelle avec cet adolescent de 15 ans. Qu'est ce qui l'a poussé à nouer cette histoire avec ce jeune homme? Elle a des réactions complexes, inexplicables.... c'est un amour laid, destructeur, une relation de dominant à dominé et qui m'a laissé un goût amer....

Un roman à lire, qui ne peut laisser indifférent, qui pousse le lecteur à réfléchir et à s'interroger...

"Mais qu'est ce que vous auriez fait?"



mardi 27 novembre 2018

Une colonne de feu - Ken Follett



Quelques infos:


Édition: Robert Laffont
Date de parution: Septembre 2017
Pages: 928 (!)

Mon avis:


En 1558, à l'ombre de la cathédrale de Kingsbridge, cité marchande d'Angleterre, deux adolescents Ned et Margery, rêvent d'amour et de mariage. Mais la famille de Margery a d'autres projets pour la jeune fille, son père et son frère la promettent au comte de Shiring. Une telle union leur permettra d'entrer dans noblesse anglaise et d'accroître leur influence. Ned, le cœur brisé, part rejoindre les services secrets de sa majesté Elizabeth I, de confession protestante, qui essaye d'établir un semblant de paix dans le royaume en proie à des luttes de pouvoir entre catholiques et protestants. 

Ken Follett relate ici, sur plusieurs décennies, les guerres de religion qui ont embrasé l'Europe au 16e siècle. Insérant habilement des personnages fictifs au sein même de l'Histoire, il nous narre cette période obscure où catholiques et protestants se sont entre-tués pour l'exercice de leur culte. Alors certes, ce roman me fait l'effet d'un blockbuster Hollywoodien. C'est efficace, bien calibré pour le succès... Mais ça manque de charme. Notamment, les personnages beaucoup trop manichéens à mon goût, la cruauté des méchants ou la perfection des gentils n'ont aucune mesure. L'intérêt de cette galerie de personnages s'en trouve diminué, l'ensemble manquant de relief.  Les piliers de la terre ou Un monde sans fin faisait la part belle aux bâtisseurs de cathédrales. Ici, Kingsbridge n'est qu'un décor parmi d'autres, la cathédrale est relayée au second plan (petite déception personnelle). 
Mais je lui pardonne bien volontiers. C'est un roman très riche, racontant les guerres de religion sans aucun parti pris, éclairant le lecteur sur certains faits historiques. C'est toujours très intéressant et très bien documenté.  J'ai aimé la partie espionnage de ce roman historique et la façon dont Elizabeth place ses pions afin de déjouer les complots ourdis contre elle. J'ai aimé la bataille navale, où là encore, je ne peux qu'admirer l'érudition et la qualité d'écriture de Ken Follett. Les 928 pages de ce pavé défilent toutes seules et c'est sans aucune lassitude que je suis allée au bout. 



jeudi 15 novembre 2018

La part des flammes - Gaëlle Nohant




Quelques infos:


Édition: Héloïse d'Ormesson
Date de parution: 19 Mars 2015
Pages: 495


Mon avis:


Paris, 1987. Tout le Paris mondain se bouscule au Bazar de la Charité où les femmes de l'aristocratie vendent des objets personnels. Les profits de cette vente reviennent aux œuvres de charité. C'est un lieu de rencontre, où il faut paraître. Sophie d'Alençon, sœur de l'impératrice d'Autriche (la fameuse Sissi!) tient un comptoir au Bazar. Elle va inviter la Comtesse de Raezal, dont le passé lui vaut d'être mise au ban de la haute société, et Constance d'Estingel, qui se sent en décalage avec les aspirations familiales et les conventions sociales  Mais en ce jour de Mai 1897, alors qu'il y a foule dans les couloirs du Bazar, les vapeurs d'éther du cinématographe s'enflamment transformant le hangar en un gigantesque brasier où près de 120 personnes périrent, dont une grande majorité de femmes. Violaine de Raezal et Constance en réchappent, affreusement blessées et verront leur destin bouleversé par cette tragédie.

Dès les premières lignes je me suis laissée prendre par cette histoire, basée sur un fait divers réel.
L'auteur ne se contente pas de relater l'incident en insufflant un peu de romanesque, elle nous fait découvrir la vie parisienne de l'époque. Sa plume se fait mordante quand elle évoque les conventions sociales de l'époque et cette charité quelque peu hypocrite où on cherchait surtout à assurer ses relations et une certaine indulgence religieuse.

"Et peut-être était-ce la finalité de ce lieu, servir de crypte à de pauvres hères que la charité bien née guidait vers une mort sanctifiée, eux qui, sans elle, eussent crevé comme des bêtes, le cœur plein de révolte et d'amertume. Si ces vertueuses dames patronnesses ne visaient pas à panser les plaies d'une société foncièrement inégalitaire, elles s'employaient à en apaiser les convulsions et à faire accepter aux pauvres l'injustice de leur destin. Qu'ils en saisissent la valeur rédemptrice et consentent à porter leur croix, et ils rejoindraient ces figures de la sainteté indigente dont on se servait pour édifier les enfants des riches."

Elle dénonce cet univers codifié où les femmes se soumettent aux conventions sociales, aux bonnes mœurs, en masquant sous des sourires affables une effroyable hypocrisie qui n'a d'égale que leur ambition; il faut voir et être vu.

"La terre était pleine de créatures saturées d'elles mêmes qui prenaient plaisir à vous foudroyer pour les fautes qu'elles s'interdisaient, les libertés qu'elles prenaient dans l'ombre, les extases qui venaient mourir près d'elles sans qu'elles se soient permis d'y goûter. Châtier était le tonique qui ranimait leur cœur exsangue."

L'incendie est évidemment le point culminant et l'auteur ne nous épargne pas les horreurs vécues par les femmes prises au piège dans le brasier. Pour autant, moi qui suis particulièrement sensible, j'ai trouvé que c'était vraiment bien amené et réaliste sans plonger dans un voyeurisme morbide.

"Il y avait eu les jours de la salle Saint-Jean, cette éprouvante identification qui avait laissé des corps sans nom, abandonnés à la fosse commune faute d'avoir été reconnus. Violaine ne pouvait s'empêcher d'imaginer au-dessus de chacun de ces anonymes une âme sursautante, déchirée d'avoir vu ses proches scruter sa dépouille pour l'écarter fermement - non, cette momie hideuse n'est pas notre mère, ne saurait être ma fille bien-aimée. Et l'âme ulcérée regardait cette écorce racornie - qui avait été son corps fier et plein - glisser dans l'anonymat de la fosse tandis que la douleur de siens butait contre une tombe impossible à remplir."

Malheureusement, j'ai trouvé que le rythme s'essoufflait dans la dernière partie du livre, consacré au personnage de Constance et mon intérêt s'est retrouvé en partie émoussé. Ses tourments m'ont un peu ennuyé, je l'ai regardé sans vraiment la comprendre et il est resté une distance entre elle et moi.  Néanmoins, j'ai vraiment apprécié cette lecture car c'est un roman très riche: à la fois roman de mœurs, roman historique et roman d'amour. Le tout porté par une très jolie plume qui ne m'a pas laissé indifférente et j'ai aimé les partis pris de l'auteur.

"Si ça pouvait réveiller les gens... Personne ne proteste! Cet incendie a fait d'eux des moutons dociles aux ordres de la sûreté! Et pourtant on a bien besoin de rire et de pleurer au théâtre, plus que jamais."



Sans oublier la très jolie morale de l'histoire....

"Chaque fois qu'elle pensait à la duchesse d'Alençon - et elle pensait souvent à elle - Violaine de Raezal se disait que s'il était un bonheur possible sur cette on ne pouvait y accéder qu'en laissant mourir certaines choses en soi. Toutes ces choses lourdes et encombrantes qui étaient un grenier plein d'objets cassés et poussiéreux que l'on n'osait mettre au rebut, mais qui arrêtaient la lumière."