jeudi 15 novembre 2018

La part des flammes - Gaëlle Nohant




Quelques infos:


Édition: Héloïse d'Ormesson
Date de parution: 19 Mars 2015
Pages: 495


Mon avis:


Paris, 1987. Tout le Paris mondain se bouscule au Bazar de la Charité où les femmes de l'aristocratie vendent des objets personnels. Les profits de cette vente reviennent aux œuvres de charité. C'est un lieu de rencontre, où il faut paraître. Sophie d'Alençon, sœur de l'impératrice d'Autriche (la fameuse Sissi!) tient un comptoir au Bazar. Elle va inviter la Comtesse de Raezal, dont le passé lui vaut d'être mise au ban de la haute société, et Constance d'Estingel, qui se sent en décalage avec les aspirations familiales et les conventions sociales  Mais en ce jour de Mai 1897, alors qu'il y a foule dans les couloirs du Bazar, les vapeurs d'éther du cinématographe s'enflamment transformant le hangar en un gigantesque brasier où près de 120 personnes périrent, dont une grande majorité de femmes. Violaine de Raezal et Constance en réchappent, affreusement blessées et verront leur destin bouleversé par cette tragédie.

Dès les premières lignes je me suis laissée prendre par cette histoire, basée sur un fait divers réel.
L'auteur ne se contente pas de relater l'incident en insufflant un peu de romanesque, elle nous fait découvrir la vie parisienne de l'époque. Sa plume se fait mordante quand elle évoque les conventions sociales de l'époque et cette charité quelque peu hypocrite où on cherchait surtout à assurer ses relations et une certaine indulgence religieuse.

"Et peut-être était-ce la finalité de ce lieu, servir de crypte à de pauvres hères que la charité bien née guidait vers une mort sanctifiée, eux qui, sans elle, eussent crevé comme des bêtes, le cœur plein de révolte et d'amertume. Si ces vertueuses dames patronnesses ne visaient pas à panser les plaies d'une société foncièrement inégalitaire, elles s'employaient à en apaiser les convulsions et à faire accepter aux pauvres l'injustice de leur destin. Qu'ils en saisissent la valeur rédemptrice et consentent à porter leur croix, et ils rejoindraient ces figures de la sainteté indigente dont on se servait pour édifier les enfants des riches."

Elle dénonce cet univers codifié où les femmes se soumettent aux conventions sociales, aux bonnes mœurs, en masquant sous des sourires affables une effroyable hypocrisie qui n'a d'égale que leur ambition; il faut voir et être vu.

"La terre était pleine de créatures saturées d'elles mêmes qui prenaient plaisir à vous foudroyer pour les fautes qu'elles s'interdisaient, les libertés qu'elles prenaient dans l'ombre, les extases qui venaient mourir près d'elles sans qu'elles se soient permis d'y goûter. Châtier était le tonique qui ranimait leur cœur exsangue."

L'incendie est évidemment le point culminant et l'auteur ne nous épargne pas les horreurs vécues par les femmes prises au piège dans le brasier. Pour autant, moi qui suis particulièrement sensible, j'ai trouvé que c'était vraiment bien amené et réaliste sans plonger dans un voyeurisme morbide.

"Il y avait eu les jours de la salle Saint-Jean, cette éprouvante identification qui avait laissé des corps sans nom, abandonnés à la fosse commune faute d'avoir été reconnus. Violaine ne pouvait s'empêcher d'imaginer au-dessus de chacun de ces anonymes une âme sursautante, déchirée d'avoir vu ses proches scruter sa dépouille pour l'écarter fermement - non, cette momie hideuse n'est pas notre mère, ne saurait être ma fille bien-aimée. Et l'âme ulcérée regardait cette écorce racornie - qui avait été son corps fier et plein - glisser dans l'anonymat de la fosse tandis que la douleur de siens butait contre une tombe impossible à remplir."

Malheureusement, j'ai trouvé que le rythme s'essoufflait dans la dernière partie du livre, consacré au personnage de Constance et mon intérêt s'est retrouvé en partie émoussé. Ses tourments m'ont un peu ennuyé, je l'ai regardé sans vraiment la comprendre et il est resté une distance entre elle et moi.  Néanmoins, j'ai vraiment apprécié cette lecture car c'est un roman très riche: à la fois roman de mœurs, roman historique et roman d'amour. Le tout porté par une très jolie plume qui ne m'a pas laissé indifférente et j'ai aimé les partis pris de l'auteur.

"Si ça pouvait réveiller les gens... Personne ne proteste! Cet incendie a fait d'eux des moutons dociles aux ordres de la sûreté! Et pourtant on a bien besoin de rire et de pleurer au théâtre, plus que jamais."



Sans oublier la très jolie morale de l'histoire....

"Chaque fois qu'elle pensait à la duchesse d'Alençon - et elle pensait souvent à elle - Violaine de Raezal se disait que s'il était un bonheur possible sur cette on ne pouvait y accéder qu'en laissant mourir certaines choses en soi. Toutes ces choses lourdes et encombrantes qui étaient un grenier plein d'objets cassés et poussiéreux que l'on n'osait mettre au rebut, mais qui arrêtaient la lumière."



2 commentaires:

  1. J'attendais énormément de ce roman et puis finalement, l'étincelle du début est retombée vite et, si je ne peux pas dire que je n'ai pas été aimé, je crois qu'on me l'a survendu. J'aime énormément les romans historiques et j'ai eu des conseils qui ont fusé : oui, vas-y, lis-le, tu vas adorer, tu verras...

    Finalement, si les premiers chapitres m'ont complètement happée et que je les ai dévorées, j'ai été moins intéressée par le deuxième partie et, quand j'évoque La Part des Flammes, j'ai un sentiment de rendez-vous manqué... J'aurais tellement aimé l'aimer plus... ;) Ce fut une très bonne lecture mais elle aurait pu être encore meilleure et plusieurs années après l'avoir lu, j'en reste encore un peu frustrée.

    Cela dit, Gaëlle Nohant écrit très très bien et j'ai trouvé qu'elle abordait parfaitement son sujet... L'incendie du Bazar de la Charité, dans tout ce qu'il a d'horrible et d'insoutenable et très bien décrit par l'auteure. Elle a bien saisi toute la complexité de cette époque, de cette fin de XIXème siècle français... On ne peut pas le nier, ça reste un très bon roman historique et il est à recommander. :)

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  2. Je n'avais aucune attente lorsque j'ai entamé ma lecture, ma déception était donc moins grande. Cela dit, je comprends ton sentiment de frustration concernant la 2e partie du roman qui n'est pas à la hauteur des premiers chapitres! Merci pour ta visite!

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