dimanche 28 avril 2019

Filles de la mer - Mary Lynn Bracht



Quelques infos:


Édition: Robert Laffont
Pages: 432
Date de parution: Février 2018


Mon avis:


       Sur l'île de Jeju, au sud de la Corée, Hana 16 ans est une haenyeo, tout comme l'est sa mère et tout comme le sera sa soeur Emi, âgée de 9 ans. Ce sont des pêcheuses en eaux profondes et leur activité permet de nourrir la famille. Nous sommes en 1943. La Corée vit sous la domination japonaise depuis 1910. Un jour, Hana aperçoit un soldat japonais qui se dirige vers sa sœur. Pour la protéger, elle se laisse enlever à sa place et est envoyée jusqu'en Mandchourie où elle devient une femme de réconfort. Durant d'interminables journées, avec d'autres coréennes, elle est violée par les soldats japonais.
       Le récit alterne avec l'époque moderne où nous retrouvons Emi maintenant âgée de 77 ans. Depuis trois ans, elle participe aux manifestations à Séoul réclamant la reconnaissance par le Japon des crimes perpétrées contre ces femmes. Elle garde l'espoir de retrouver un jour sa sœur qui s'est sacrifiée pour elle.
      C'est un livre difficile, qui met en lumière un pan peu connu de l'histoire mondiale: les guerres d'Asie qui ont vu s'affronter le Japon, la Chine et la Corée du début du 20e siècle jusqu'en 1953. Longtemps restées silencieuses, ce n'est que récemment que ces femmes de réconfort ont osé prendre la parole et ont témoigné des atrocités qu'elles ont vécues. 
Hana est séparée de sa famille, de sa terre, perd son identité, sa culture et sait que tout retour est impossible car elle sera à jamais marquée du sceau de la honte d'être devenue une esclave sexuelle. Malgré tout, portée par une force de vie exceptionnelle, elle luttera pour sa survie dans des conditions atroces.
Emi a vécu toute sa vie sous le poids de la culpabilité. Elle cherche aujourd'hui à affronter son passé et faire le deuil de cette sœur disparue. 

      C'est un livre brutal et dérangeant. De nombreux passages difficiles ont rendu ma lecture pénible. Malgré tout, ce livre n'est pas dénué d'espoir. Ces femmes font preuve d'une force et d'un courage remarquables et résistent pour ne pas sombrer. Outre ces faits historique, j'ai découvert la culture coréenne et notamment celle des haenyeo, cette communauté de femmes fondée sur la connaissance de la mer et de la pêche en apnée. C'est cette identité qui permet à Hana de tenir, de ne pas oublier qui elle est. C'est également auprès des haenyeo, alors que sa famille a été brisée par la guerre, qu'Emi trouve du soutien.

       C'est un livre nécessaire, pour connaître et ne pas oublier, en mémoire de toutes ces femmes qui ont subi et subissent encore les horreurs de la guerre.




dimanche 21 avril 2019

Toutes les histoires d'amour du monde - Baptiste Beaulieu



Quelques infos:


Édition: Mazarine
Date de parution: Octobre 2018
Pages: 478

Mon avis:


Moïse est mort à plus de 90 ans. Son fils Denis trouve dans une vieille malle trois carnets dans lesquelles, consciencieusement, Moïse écrit des lettres à une inconnue, Anne-Lise, dont personne dans la famille n'a jamais entendu parler. Il faut dire qu'il n'était pas vraiment bavard Moïse, plutôt du genre taiseux, froid et distant, même avec ses proches.

"Parfois, Moïse nous disait bonjour, mais se souciait-il vraiment de la qualité de nos journées? Absorbé dans ses pensées, il disait des phrases comme:" Je vais sortir le chien". Puis il partait, mais il rentrait, il avait oublié le chien. Il repartait, et c'était la balade, puis c'était le fauteuil, et c'était sa musique. Comme tu habitais tout seul ton corps, grand-père, et tout seul ton fauteuil, tu habitais tout seul avec nous."

Bouleversé par cette découverte, Denis fait un malaise cardiaque. C'est son fils Jean qui prend alors le relais et part sur les traces d'Anne-Lise. Curieusement, entre eux aussi, la communication passe difficilement et ils trouveront dans cette quête un moyen d'éviter que l'histoire familiale ne se répète et d'apaiser leur relation.

La couverture est magnifique, le titre alléchant et les critiques élogieuses. Ce livre avait tout pour m'attirer. Le début a été difficile, il m'a fallu arriver à un bon tiers du livre pour réellement me plonger dans l'histoire. Je crois que je suis passée à côté de la partie contemporaine et notamment de la façon dont Jean essaye d'apaiser les relations avec son paternel. Il lui raconte des histoires d'amour inventées, lui fait croire qu'il a retrouvé les descendants des personnes que Moïse a pu croiser et le but de ces mensonges m'a complètement échappé.

En revanche, les lettres de Moïse sont poignantes. Au crépuscule de sa vie, il confie à Anne-Lise l'homme qu'il a été, depuis sa naissance. Chaque année, à la même date, il lui écrit une lettre où il s'expose, sans fard, ses doutes, ses faiblesses, ses drames et ses bonheurs. Il se révèle être un homme doux et sensible, bien loin de la carapace dure et infranchissable qu'il montrait à ses proches, notamment à son fils Denis. 

"Mais les regrets, oh, les regrets... Toi qui me lis, souviens-toi des tiens, et tu seras d'accord: jamais ils ne disparaissent, les regrets. Ils enflent avec les années, ils vous dévorent le soir, ils teintent de tristesse le plus joyeux des rires et tournent à l'amer le plus sucré des mets. C'est là leur grand pouvoir sur nous."

C'est évidemment la seconde guerre mondiale qui marque un tournant dans sa vie. C'est là que l'histoire de Moïse m'a véritablement emporté: sa vie de prisonnier de guerre, les relations qu'il a pu nouer avec les allemands, les différences sociales effacées "où la Guerre rendait tous les hommes égaux". 

Ce roman s'est finalement révélé être d'une profonde richesse, il y est question d'amour, des liens familiaux, de regrets, de souvenirs...

"On meurt vraiment quand tous les gens qui nous ont aimé meurent aussi, où quand il n'y a plus de souvenirs."

En s'appropriant ces lettres, Baptiste Beaulieu nous offre ici une belle leçon de vie. Suivant les conseils de Moïse, il s'évertue à renouer les liens familiaux et finalement, même s'il est question de guerre, de secrets familiaux ou de deuils,  c'est un roman empli d'optimisme et d'espoir, qui appelle chaque lecteur à aimer, espérer et se souvenir. Et qu'il existe une façon de ne pas reproduire indéfiniment le schéma familial.

"Je voudrais que la personne qui lit ces lignes et a cette chance infinie d'avoir encore son grand-père, sa grand-mère, l'appelle et lui dise -Raconte moi maintenant tout ce que tu n'as jamais dit. Après il sera trop tard-"




NB: Ce livre est d'autant plus touchant qu'il s'agit d'un roman autobiographique. L'auteur est réellement à la recherche d'Anne-Lise Schmidt, sa tante âgée aujourd'hui de 75 ans. Puisse-t-il un jour la retrouver et lui remettre ces carnets...


jeudi 11 avril 2019

Le dernier gardien d'Ellis Island - Gaëlle Josse



Quelques infos:


Édition: J'ai lu
Pages: 188
Date de parution: 2014

Mon avis:


Nous sommes en 1954. Depuis 1892, Ellis Island, petite île située à l'embouchure de l'Hudson, est le lieu de passage obligé pour les candidats à l'immigration. 12 millions d'hommes, de femmes et d'enfants sont passés à l'inspection, entre les mains d'infirmières, de médecin ou de fonctionnaires plus ou moins zélés, plus ou moins honnêtes. Les faibles, les malades, les déficients mentaux étaient rejetés sans appel et renvoyés dans leur pays. 
A quelques jours de la fermeture, le dernier gardien d'Ellis Island John Mitchell éprouve le besoin irrépressible de raconter ses mémoires sur quelques feuilles de papier. Dans ce lieu unique personnage à part entière, John Mitchell est hanté par toutes ces vies croisées, ces hommes et ces femmes qui se sont vus examinés, questionnés, jugés...Ces destins bouleversés par un tampon sur un un papier leur donnant la nationalité américaine ou leur billet de retour au pays. 

"J'ai parfois l'impression que l'univers entier s'est rétréci pour moi au périmètre de cette île. L'île de l'espoir et des larmes. Le lieu du miracle, broyeur et régénérateur à la fois, qui transformait le paysan irlandais, le berger calabrais, l'ouvrier allemand, le rabbin polonais ou l'employé hongrois en citoyen américain après l'avoir dépouillé de sa nationalité. Il me semble qu'ils sont tous encore là, comme une foule de fantômes flottant autour de moi."

Au crépuscule de sa vie, John Mitchell soulage sa conscience d'employé méticuleux, cette façade cachant ses faiblesses d'homme, ses deuils, ses regrets. A l'image de cette île, il s'est isolé et se sent hors du temps. C'est la touchante confession d'un homme confronté à la rigidité de l'administration américaine et aux destins de ces anonymes qui ont fuit la misère et espéré un avenir meilleur.

Dans ce court roman à l'écriture fine et sensible, l'auteur a su nous dépeindre toute la violence, la tristesse, la mélancolie qui règnent dans ce lieu. Elle nous parle d'exil, d'errance, de choix, de l'angoisse et des espoirs des candidats à l'immigration. 
C'est un livre bouleversant, dont la lecture est lourde de sens à notre époque.




samedi 6 avril 2019

Ils vont tuer Robert Kennedy - Marc Dugain



Quelques infos:


Édition: Gallimard
Date de parution: Août 2017
Pages: 399

Mon avis:


Au Canada, un professeur d'histoire contemporaine à l'université rédige une thèse sur l'assassinat des frères Kennedy. Il est persuadé que la mort du président et du sénateur sont liées à celle de ses parents. Mêlant les deux enquêtes, celle historique, l'autre fictive, ce livre nous emmène dans les coulisses de la politique américaine.
Ce roman m'a happé dès les premières pages. Fascinée par le mystère entourant la mort de John Kennedy, j'ai dévoré les premiers chapitres charmée par l'écriture précise. Le texte est dense, comme un épais brouillard à traverser sans jamais arriver à trouver la vérité. L''écriture se teinte de cynisme, de mélancolie, de fatalisme, à l'image de Robert Kennedy qui se présente aux primaires de 1968 comme on monte à l'échafaud.

"Le sens de l'existence lui fait profondément défaut. S'il avait poussé l'honnêteté vis-à-vis de lui- même à son comble, il aurait tout plaqué, laissé derrière lui cet héritage maudit, tout cet argent sale qui a fait de lui cet aristocrate irlandais désabusé, il se serait détaché de cette vie matérielle, objet de souffrances infinies, il se serait retiré de ce monde qui doit sa violence à son matérialisme acharné et où il n'est question pour chacun que d'augmenter sa part d'un gâteau supposé croître indéfiniment. L'absurdité du monde le torture, mais pas assez pour qu'il en tire des enseignements définitifs."

De fait, l'auteur démontre ici que la mort de John et de Robert sont intimement liées. La politique américaine en prend pour son grade, les valeurs de la société également. 
La qualité de l'écriture, l'érudition de l'auteur rend la démonstration convaincante même si elle manque malheureusement de références et prend même parfois des accents complotistes. Certaines phrases telles que "On peut s'imaginer que...."  font  parfois perdre de la crédibilité. Mais il s'agit d'un roman, pas d'un essai, la révélation finale sur le professeur explique peut être les invraisemblances.Mais surtout Marc Dugain connaît bien son sujet ayant abordé dans de nombreux romans les rouages de la politique américaine. 
Au final, cette immersion dans cette Amérique où l'attentat contre les personnalités était devenu un sport national est fascinante. Les conséquences de ces deux assassinats sont internationales. C'est sur ces bases malsaines que s'est construit le monde politique d'aujourd'hui.
Pas vraiment rassurant, voire même un peu déprimant.